mercredi 23 avril 2008
l'Eglise a-t-elle sa place en Algérie?
Compte rendu d'une visite éclair dans le diocèse de Constantine, à l'est de l'Algérie, ou comment choisir d'être l'étranger pour manifester que tout homme est un frère... Trois jours, c’est peu pour découvrir un pays, mais ce fut pourtant déjà tellement dense ! Quelques mots pour essayer de dire ce que j’ai vu. J’ai vu une Eglise bien vivante malgré la faiblesse de ses moyens ; une Eglise où se vit une vraie et tangible communion fraternelle. Une Eglise qui ne se raconte pas d’histoires : j’ai été frappé de la simplicité de l’accueil, au Bon Pasteur, sans manières ni grands discours, sans fard – comme en famille. La célébration de l’eucharistie, à Chechar et à Constantine, a aussi été un moment fort de cette fraternité universelle qui nous rend si proches « dans le Christ », signe de cette foi qui nous rassemble, au delà de vies bien dissemblables, source aussi de cette fraternité nouée avec les habitants de ce pays. Ces habitants, je les ai peu rencontrés : quelques mots souvent banals échangés avec l’un ou l’autre au coin d’une rue ou dans un café à Chechar. Mais à travers les chrétiens présents ici, je sentais aussi naître pour moi cette fraternité avec ce peuple, dont l’Eglise est le ferment. Ces quelques mots échangés me disaient quelles relations pouvaient ainsi se tisser dans cette présence et dont je pouvais, moi aussi, bénéficier sans y avoir travaillé ! J’ai vu l’Eglise qui est en Algérie, et qui n’est pas – ou bien peu – algérienne. Elle ne peut vivre sans apport extérieur. « Mais pourquoi sont ils là ? » Sa présence m’a parfois semblée incongrue dans cette société dans laquelle elle reste un « corps étranger » : l’Eglise n’a rien a y faire, on n’a pas besoin d’elle, en quelque sorte. Et pourtant elle ne veut pas vivre en marge de la société algérienne, en s’occupant de ses affaires : elle veut partager le quotidien de ceux pour qui elle est là. C’est pourquoi elle a une telle valeur de signe, il me semble : sa présence est le fruit non pas d’intérêts humains mais de la volonté d’obéir au commandement d’amour du Christ. Pas besoin d’annoncer à grand bruit l’évangile : le simple fait de cette présence crie déjà « si nous sommes là avec vous, c’est au nom du Christ !». Au nom du Christ, c’est à dire par amour, et non pour vous récupérer, vous convertir… J’ai vu la gratuité de cet présence dans cette Eglise qui a le temps de perdre du temps pour vivre au rythme de ce pays, pour avancer au pas de l’autre, qui n’hésite pas à faire de longues distances pour une simple rencontre, bien loin des exigences d’efficacité, de « rentabilité », de quantité qui encombrent souvent notre relation pastorale ! Tout prend du temps, tout est toujours à refaire, il semble parfois que l’on ne fasse pas grand chose et j’imagine que cela doit être pesant – mais cela témoigne bien que cette Eglise est là pour l’autre et non pour sa propre réussite. Je trouve que nous avons là à apprendre comment ne pas « mettre la main sur les gens » mais au contraire être au service de leur liberté. J’ai vu une Eglise dépouillée qui révèle la radicalité de l’évangile. Dépouillée, car les moyens humains et matériels sont dérisoires pour ce vaste diocèse. Dépouillée, car elle n’a pas réellement droit de cité : elle est tolérée, mais j’ai cru sentir qu’elle avait peu de poids quand il s’agissait de s’opposer à une décision ou de défendre ses doits… Et dans ce dépouillement apparaît la radicalité de l’évangile, non pas dans la force volontariste d’une vie héroïque mais plutôt comme sa racine profonde, mise à nu quand l’arbre est privé de ses déploiements naturels. Il ne reste alors que la force de cette Parole qui dépasse tout le bon sens des réalisations humaines, qui invite à cette remise en question permanente, à ce déplacement continuel : accepter d’être l’étranger parce que je reconnais en l’autre un frère ! Qu’ai je vu finalement ? Bien peu de choses dont je pourrai parler. J’ai d’ailleurs plus entendu que vu ! Quelques belles rencontres, la traversée d’un beau pays, des petits détails que je ne saurais pas raconter… et aussi, beaucoup de questions de fond ! Mais à travers ces quelques réflexions sans prétentions, il s’agit surtout pour moi de dire que l’Eglise de Constantine a désormais un visage et des richesses que j’aimerais pouvoir partager ! Et ce visage est aussi pour moi une invitation à prier de manière plus concrète pour tous les chrétiens et les habitants de ce pays.
mardi 22 janvier 2008
La vérité germera de la terre...
Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
"Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents :
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'août :
Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse."
Le père mort, les fils vous retournent le champ,
Deçà, delà, partout, si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.
D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.
Nous cherchons souvent la vérité comme ce trésor que les fils du laboureur espéraient trouver dans ce champ… chacun, peut être, pensant secrètement se l’approprier au dépens de l’autre !
Nous cherchons alors quelque chose que nous avons bien peu de chances de trouver.
Et si... s’il fallait apprendre à accueillir la vérité comme cette récolte, tout à la fois fruit de ce travail de recherche et en même temps si différente de ce qui était cherché ?
Une vérité en partage à tous ceux qui travaillent ce vaste champ…
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
"Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents :
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'août :
Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse."
Le père mort, les fils vous retournent le champ,
Deçà, delà, partout, si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.
D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.
Nous cherchons souvent la vérité comme ce trésor que les fils du laboureur espéraient trouver dans ce champ… chacun, peut être, pensant secrètement se l’approprier au dépens de l’autre !
Nous cherchons alors quelque chose que nous avons bien peu de chances de trouver.
Et si... s’il fallait apprendre à accueillir la vérité comme cette récolte, tout à la fois fruit de ce travail de recherche et en même temps si différente de ce qui était cherché ?
Une vérité en partage à tous ceux qui travaillent ce vaste champ…
mercredi 9 janvier 2008
La rencontre des religions, une affaire d'illuminés... (A la suite des rois mages)
En ces temps où nous nous gavons de frangipane en espérant (ou pas) y découvrir ce petit objet qui a le précieux pouvoir de faire de vous une reine ou un roi… rappelons nous un instant de ces rois-mages qui, à leur manière, ont aussi fait une découverte étonnante en trouvant un jour ce petit enfant, couché dans une mangeoire, au milieu de cette grande galette qu’était le monde (eh oui, à cette époque la terre était plate !) – si vous voulez bien me suivre dans cette interprétation quelque peu allégorique…
En cette fête de l’épiphanie, les chrétiens célèbrent la manifestation universelle du Christ, la lumière du salut révélée à toutes les nations, représentées par ces mages aux origines lointaines. Venus d’Orient à la recherche d’un roi, arrivés devant cette habitation sommaire, ils éprouvèrent une « grande joie » à la vue de ce simple petit enfant et de sa mère et ils adorèrent celui en qui ils avaient reconnu… mais qui peut le dire, précisément ? Ils ont perçu – comme nous, peut être – « quelque chose » du mystère inouï que nous révèle l’Evangile : cet enfant, c’est Dieu « en personne humaine » qui vient à la rencontre de l’homme ! Cette irruption dans l’histoire humaine de Dieu lui même qui se fait l’un de nous constitue la pointe de la spécificité chrétienne : c’est ce qu’on désigne par « mystère de l’Incarnation ». Mille vies ne suffiraient pas pour méditer et comprendre ce mystère (heureusement, nous n’en avons qu’une), mais il nous permet en tout cas réfléchir au sujet de la rencontre des religions! En effet, le chrétien n’apparaît pas dans cette optique détenteur d’un « message pour le monde » de la part de Dieu, de règles de conduite pour bien faire, ou encore d’une vérité bien ficelée sur tel ou tel sujet ; le Christ n’est pas une doctrine ou une « marque déposée » qu’il aurait à défendre. Le chrétien est avant tout le témoin de cette venue de Dieu qui nous rencontre et se donne à nous. La Révélation de la Vérité vivante, éternelle, absolue, universelle, dans une existence humaine, marquée par les limites de l’espace et du temps, la fragilité et l’opacité du corps, l’ambiguïté du langage humain implique aussi que nous connaissons toujours la Vérité d’une manière voilée. Elle n’a pas l’évidence des choses toutes faites, d’un « prêt à l’emploi » ; elle est à toujours découvrir au travers d’une manifestation humaine, comme ce fut le cas pour les mages. De ce fait, nul ne peut mettre la main sur la Vérité : elle est une lumière qui nous parvient, voilée, qu’on peut reconnaître, dont on peut témoigner, mais dont la source reste toujours au delà. L’Eglise (et c’est la spécificité du christianisme) reconnaît dans le Christ la plénitude de la Vérité, sans pour autant connaître pleinement cette vérité : elle peut en dire quelque chose qui n’épuisera jamais le mystère du Christ, mais elle peut toujours en désigner la source avec certitude. Du fait qu’elle connaît la source de cette lumière de la Vérité, elle peut alors re-connaître et témoigner de cette lumière de la Vérité telle qu’elle se manifeste dans la démarche des autres religions… et peut être est-ce là la mission spécifique de l’Eglise dans ce champ inter-religieux ? Cette reconnaissance est d’abord accueil, avec gratitude, de cette lumière, où elle perçoit un écho de cet évènement unique et définitif de la Révélation totale en Jésus Christ ; écho toujours nouveau, propre à chaque époque, culture, religion (car la manifestation historique de la vérité, à l’image de l’Incarnation, garde toujours quelque chose d’irréductible) qui enrichit notre perception du mystère du Christ. Cette reconnaissance est ensuite « service de la Vérité » : à la lumière de notre tradition et de notre expérience religieuse, le discernement d’éléments de vérité dans d’autres traditions religieuses pourra leur permettre de développer ce qu’elles ont en propre de bon et de vrai. C’est dans ce dialogue, où l’autre est reconnu pour ce qu’il est en lui même (et non pour ce qu’il a de semblable), et où il bénéficie en même temps d’un regard extérieur qui objective ce qu’il a de bon, que pourra alors croître la manifestation plénière de la Vérité que nous espérons !
En cette fête de l’épiphanie, les chrétiens célèbrent la manifestation universelle du Christ, la lumière du salut révélée à toutes les nations, représentées par ces mages aux origines lointaines. Venus d’Orient à la recherche d’un roi, arrivés devant cette habitation sommaire, ils éprouvèrent une « grande joie » à la vue de ce simple petit enfant et de sa mère et ils adorèrent celui en qui ils avaient reconnu… mais qui peut le dire, précisément ? Ils ont perçu – comme nous, peut être – « quelque chose » du mystère inouï que nous révèle l’Evangile : cet enfant, c’est Dieu « en personne humaine » qui vient à la rencontre de l’homme ! Cette irruption dans l’histoire humaine de Dieu lui même qui se fait l’un de nous constitue la pointe de la spécificité chrétienne : c’est ce qu’on désigne par « mystère de l’Incarnation ». Mille vies ne suffiraient pas pour méditer et comprendre ce mystère (heureusement, nous n’en avons qu’une), mais il nous permet en tout cas réfléchir au sujet de la rencontre des religions! En effet, le chrétien n’apparaît pas dans cette optique détenteur d’un « message pour le monde » de la part de Dieu, de règles de conduite pour bien faire, ou encore d’une vérité bien ficelée sur tel ou tel sujet ; le Christ n’est pas une doctrine ou une « marque déposée » qu’il aurait à défendre. Le chrétien est avant tout le témoin de cette venue de Dieu qui nous rencontre et se donne à nous. La Révélation de la Vérité vivante, éternelle, absolue, universelle, dans une existence humaine, marquée par les limites de l’espace et du temps, la fragilité et l’opacité du corps, l’ambiguïté du langage humain implique aussi que nous connaissons toujours la Vérité d’une manière voilée. Elle n’a pas l’évidence des choses toutes faites, d’un « prêt à l’emploi » ; elle est à toujours découvrir au travers d’une manifestation humaine, comme ce fut le cas pour les mages. De ce fait, nul ne peut mettre la main sur la Vérité : elle est une lumière qui nous parvient, voilée, qu’on peut reconnaître, dont on peut témoigner, mais dont la source reste toujours au delà. L’Eglise (et c’est la spécificité du christianisme) reconnaît dans le Christ la plénitude de la Vérité, sans pour autant connaître pleinement cette vérité : elle peut en dire quelque chose qui n’épuisera jamais le mystère du Christ, mais elle peut toujours en désigner la source avec certitude. Du fait qu’elle connaît la source de cette lumière de la Vérité, elle peut alors re-connaître et témoigner de cette lumière de la Vérité telle qu’elle se manifeste dans la démarche des autres religions… et peut être est-ce là la mission spécifique de l’Eglise dans ce champ inter-religieux ? Cette reconnaissance est d’abord accueil, avec gratitude, de cette lumière, où elle perçoit un écho de cet évènement unique et définitif de la Révélation totale en Jésus Christ ; écho toujours nouveau, propre à chaque époque, culture, religion (car la manifestation historique de la vérité, à l’image de l’Incarnation, garde toujours quelque chose d’irréductible) qui enrichit notre perception du mystère du Christ. Cette reconnaissance est ensuite « service de la Vérité » : à la lumière de notre tradition et de notre expérience religieuse, le discernement d’éléments de vérité dans d’autres traditions religieuses pourra leur permettre de développer ce qu’elles ont en propre de bon et de vrai. C’est dans ce dialogue, où l’autre est reconnu pour ce qu’il est en lui même (et non pour ce qu’il a de semblable), et où il bénéficie en même temps d’un regard extérieur qui objective ce qu’il a de bon, que pourra alors croître la manifestation plénière de la Vérité que nous espérons !
vendredi 14 décembre 2007
Hors de l’Eglise, point de salut… L’Eglise a-t-elle le monopole ?
La Parole de Dieu affirme que « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 4). Elle nous dit en même temps, dans les Actes des Apôtres : « Ce Jésus, que vous aviez rejeté, est devenu la pierre d’angle. En dehors de lui, il n’y a pas de salut ; et son Nom, donné aux hommes, est le seul qui puisse nous sauver » (4, 12). Si l’Eglise est bien le groupe de ceux qui adhèrent au Christ, le pas est vite franchi : l’Eglise rassemble, telle l’arche de Noé, les sauvés ; tous ceux qui sont en dehors sont perdus...Cependant, que penser de tous les hommes qui n’ont pas eu la possibilité de reconnaître le Christ, ni d’adhérer à l’Eglise, sans refus de leur part, simplement parce qu’ils ont vécu avant sa naissance, ou par ignorance… ? Fidèle au dessein de Dieu qui veut sauver tous les hommes, l’Eglise reconnaît pour tout homme la possibilité « d’être associé, d’une manière que Dieu connaît, au mystère pascal du Christ » (concile Vatican II). Le Christ reste le seul chemin vers le salut, mais ce chemin ne passe pas nécessairement dans les limites visibles de l’Eglise. Bien : voilà déjà un point ! Mais…cela implique-t-il alors une Eglise « invisible » qui engloberait tous ceux qui suivent le Christ, sans le connaître explicitement, mais en répondant fidèlement à l’appel inscrit dans chaque cœur humain sous la forme de sa conscience ? On pourrait se demander s’il n’y a pas une certaine « récupération » à incorporer ainsi à l’Eglise, sans leur demander leur avis, les croyants d’autres religions…La question est, au fond, de savoir si les autres religions sont des voies qui peuvent conduire au salut, c’est à dire au Christ, ou si les croyants d’autres religions ne sont sauvés qu’en étant associés, à titre personnel et même inconsciemment, à cette large Eglise des « hommes de bonne volonté » ? Les autres religions sont elles des réponses « faute de mieux » à la quête des hommes, qui de manière cachée peut cependant rejoindre le Christ, ou bien ont-elle une vraie valeur pour conduire l’homme vers son accomplissement ?Cela pose bien des questions concernant le lien entre le Christ et l’Eglise : même si ce sont deux réalités indissociables, il faut réaffirmer que le salut est donné uniquement par le Christ, en tant que source ; il est donné par l’Eglise en tant que moyen, car elle rend en quelque sorte présent le Christ dans le monde.
Cela nous renvoie aussi à ce qu’on entend par « salut » : il y a en effet dans ce terme le double aspect « d’union à Dieu » et « d’unité de tout le genre humain ». Le salut consiste ainsi dans une communion avec d’autres ; dès lors, on comprend bien qu’au terme (c’est à dire pas dans ce monde ci…), tous les hommes seront rassemblés par leur union au Christ dans un seul corps… et peut être que cela n’aura plus beaucoup d’importance qu’on appelle ce corps « Eglise » ou non ?!
Cela nous renvoie aussi à ce qu’on entend par « salut » : il y a en effet dans ce terme le double aspect « d’union à Dieu » et « d’unité de tout le genre humain ». Le salut consiste ainsi dans une communion avec d’autres ; dès lors, on comprend bien qu’au terme (c’est à dire pas dans ce monde ci…), tous les hommes seront rassemblés par leur union au Christ dans un seul corps… et peut être que cela n’aura plus beaucoup d’importance qu’on appelle ce corps « Eglise » ou non ?!
dimanche 9 décembre 2007
Religions : on ne peut pas se contenter de coexister!!
Il y a quelques jours, lors d’une petite réunion de prière dans un quartier où devait avoir lieu le lendemain une rencontre entre musulmans et chrétiens… « Prions pour que ça se passe bien ! » dit l’une des personnes (de manière un peu inquiète il est vrai) ; de manière assez surprenante, se fait aussitôt entendre une vive réaction : « Mais il n’y a pas besoin de prier pour ça, c’est évident que cela va bien se passer ! De toute façon, on a le même Dieu, nos religions se valent ! »Je ne sais pas ce qu’avait à l’esprit la personne quand elle demandait que « ça se passe bien », mais je trouve en tout cas la réaction très révélatrice : après tout, qu’il n’y ait pas de problème, on ne demande rien de plus ! Et puisqu’on est tous d’accord, ça devrait être possible…Cruel manque d’ambition : dans une rencontre, ne désire-t-on pas plus que de ne pas se disputer ? N’y a-t-il pas le désir d’une rencontre en vérité, qui peut être enrichissante pour chacun ?Or pour une rencontre en vérité, il faut accepter et assumer ses différences, ses désaccords : ce qui est vrai des relations interpersonnelles l’est aussi entre les religions. Ce n’est jamais servir le dialogue que de considérer que d’éviter les sujets qui fâchent, de gommer les désaccords : car ils existent et ils demeurent qu’on le veuille ou non ! D’ailleurs, si on dit bien facilement « nous avons le même Dieu, les religions se valent », je pense pourtant qu’aucune religion ne signera cette affirmation…Pourquoi ? Parce que les religions veulent apporter d’une part un éclairage sur la vie de l’homme, une réponse à son « angoisse existentielle », d’autre part faire connaître le monde du divin, et par là apporter une libération, un salut à l’homme. Et elles ne disent pas toutes la même chose ! Sauf à penser qu’elles le disent de manière différente mais également vraie – ce qui ôte toute valeur au langage humain et toute portée à leurs affirmations –, on ne peut envisager des religions qui se valent que dans une « nullité » commune ! Ce que ne peut pas dire le croyant, qui est tout de même le premier intéressé dans ce dialogue… Que les religions ne se valent pas, c’est donc avant tout le constat nécessaire pour une recherche sincère de la vérité. Or il ne s’agit pas simplement d’une vérité théorique, abstraite : il s’agit de la vérité de la vie de l’homme, de son salut, de son bonheur ! L’enjeu n’est donc pas mince… Quiconque d’ailleurs cherche une réponse à ses questions existentielles le sentira bien, je pense ? (au passage, on peut se demander si l’indifférence, l’athéisme, le matérialisme ne sont pas finalement des « religions anthropocentristes », en tant que ces attitudes veulent apporter, au moins de manière pratique, une réponse à ces questions existentielles… même si elles le font en fermant l’horizon du divin ou en refusant toute pertinence à ces questions) On sent bien aujourd’hui l’importance d’un vrai dialogue entre les religions ; peut être pas d’abord parce que les religions sont source de conflits (les conflits sont rarement fondamentalement théologiques, mais plutôt culturels, sociaux, politiques…), mais parce qu’elles peuvent – du fait même de leur spécificité religieuse – être le terrain pour la construction de la paix. Il s’agit alors pour chacune de savoir comment dialoguer, sans rien renier d’elle même. Etre fidèle à ce qu’on est et s’ouvrir à l’autre… Mais alors : comment engager un dialogue sincère quand on pense trouver la vérité dans sa propre religion ? Où trouver des terrains de dialogue ? Doit on pour affirmer la vérité de sa religion nier celle des autres ? Je vous laisse avec ces questions…
jeudi 29 novembre 2007
Parole de Dieu et sélection naturelle... (III)
Un vieux soupçon pèse sur l’Eglise, qui est encore ressorti à propos de « l’évangile de Juda » il y a quelque temps : la découverte de ce manuscrit, qui reste très intéressant du point de vue de l’histoire du christianisme, a été accueillie par certains comme la révélation d’une « vérité » que l’Eglise aurait voulu « cacher » pour mieux asseoir sa doctrine. Elle aurait alors choisi certains textes en leur conférant l’autorité de « Parole de Dieu » pour mieux en discréditer d’autres… Concernant l’évangile de Judas, les chercheurs s’accordent pour le dater du IIème s. : il ne faut pas s’attendre à y trouver des informations sur la personne de Judas, mais plutôt des données sur le courant gnostique qui se développait à cette époque et dont il porte clairement la marque. Mais ce n’est la qu’un cas parmi d’autres : il existe de nombreux textes parallèles aux évangiles, dits apocryphes, qui étaient très répandus dans les premiers siècles. Il y a donc bien eu sélection ; pour autant, y a-t-il forcément eu censure et manipulation ? Cette position méconnaît profondément la manière dont s’est constituée la liste des écrits appartenant à la Bible (le « canon des Ecritures ») ; mais elle a toutefois le mérite de poser cette question fondamentale : Pourquoi certains écrits sont reconnus « Parole de Dieu » et d’autres non ? Qui peut en décider ? Sur quels critères ? Il faut commencer par se rappeler le cadre où nous situons : l’examen de cette affirmation bouleversante, « Dieu parle à l’homme » - et non « Dieu a parlé… l’affirmation vaut encore pour aujourd’hui ! Nous cherchons donc à savoir ce que peut signifier cette expression, puisqu’il semble entendu que ce n’est pas directement, comme une voix humaine, que Dieu s’adresserait aux hommes. Nous avons vu en réfléchissant sur le récit que l’image d’un Dieu qui parle était à prendre au sens métaphorique et symbolique, c’est à dire donnant accès à une expérience intérieure de cette parole, expérience vivante partagée par son auteur. Mais, bien sûr, beaucoup ont pu faire une expérience de Dieu – ou croire en faire une – puis la relater, sans pour autant voir inscrire leur nom dans la Bible ! Il y a quelque chose de plus dans le récit biblique, et c’est justement son statut, son autorité. En lisant la Bible en tant que Parole de Dieu, je l’aborde d’une manière différente de tout autre texte, je m’ouvre à cette expérience de la Parole de Dieu parce que je reconnais en même temps que ce texte peut y ouvrir. En d’autres termes, on en peut entrer en relation avec Dieu par cette parole que si l’on croit qu’elle vient de lui ! Car il n’est pas possible d’accepter sans discernement tout récit d’expérience mystique… Voilà la particularité des récits bibliques : au delà de ce qu’ils racontent, il leur est reconnu une autorité spécifique qu’on appelle l’inspiration. Ce terme signifie que les hommes qui ont rédigé ce texte, tout en étant de « en vrais auteurs » [c’est à dire en écrivant de manière humaine, selon leur expérience propre, avec leur culture, leur histoire, leur vocabulaire etc…], ont laissé Dieu agir en eux et par eux et ont mis par écrit « tout ce qui était conforme à son désir, et cela seulement », en sorte cette parole humaine est en même temps pleinement de Dieu, et offre donc un accès sur à Lui. Voilà donc la question : à quoi reconnaît on l’inspiration ? Il est tout d’abord extrêmement intéressant de noter que l’inspiration n’est pas dans l’intention de l’auteur : il ne se lève pas un beau matin en disant « je vais écrire une parole de Dieu ! ». Les prophètes de l’Ancien Testament n’avaient pas conscience de la portée de leurs prophéties ; les Evangiles ont été mis par écrit pour transmettre le contenu de la foi, dans un cadre catéchétique ; les lettres de Saint Paul visaient d’abord à répondre à des problèmes concrets des premières communautés chrétiennes… Ce n’est pas non plus l’autorité de l’Eglise, au sens où nous la comprenons aujourd’hui, qui a décidé « d’en haut » ce qui était Parole de Dieu et ce qui ne l’était pas. Les décisions des conciles n’ont fait qu’entériner et fixer une situation de fait et ne sont intervenues qu’assez tardivement. Alors ?C'est dans la manière dont ont été reçus les textes par les communautés qu'on peut lire la trace de l'inspiration, selon un double aspect :
- La réception, c’est à dire la reconnaissance de la capacité d’un texte donné à faire entrer dans une expérience de Dieu.
- Dans les communautés chrétiennes : cette reconnaissance ne peut se faire seul ; on reconnaît cette capacité si tous peuvent faire cette expérience de Dieu, puisque la Parole de Dieu s’adresse à tous. Il s’agit d’un consensus de fait qui s’est réalisé parallèlement dans différentes communautés chrétiennes ; et on peut voir dans cet accord progressif des différentes églises autour de certains texte l’œuvre du même Esprit qui a aussi inspiré leurs auteurs….
- Pour les écrits du Nouveau Testament, il faudrait rajouter : dans les communautés chrétiennes naissantes. Le propre du christianisme étant de reconnaître en Jésus le Fils de Dieu, la Parole incarnée, alors la proximité avec le temps où il a vécu, le lien avec des témoins oculaires, était une garantie d’objectivité. En ce sens, la proximité des auteurs avec Jésus était un critère d’autorité, mais pas le seul.
Il s’agit finalement, en quelque sorte, d’un processus de sélection naturelle : les textes qui renvoyaient fidèlement à la rencontre de Dieu, telle qu’elle se manifeste au plus au point en Jésus Christ, ont été gardés, choyés, reproduits, répandus… Les autres sont simplement tombés dans l’oubli sans être reproduits, ce qui les rend si rares ! On voit alors qu’il ne s’agit pas de manipulation ou de censure : l’Eglise, en quelque sorte, s’est construite en même temps que le Nouveau Testament ! Il n’y a pas de projet pré-établi, de critères pré-définis selon lesquels le choix des textes serait fait par une instance supérieure, mais l’émergence d’un certain nombre de textes au sein des communautés chrétiennes réunies par la foi, qui vont reconnaître en eux cette expérience du Dieu vivant qu’elles avaient fait par la prédication des apôtres. La parole vive, le témoignage vivant restent à la base de tout : c’est là un point fondamental ! C’est parce que ces textes ont été reçus ouvrant à une expérience authentifiée par des communautés comme conforme à l’expérience vivante de Dieu faite en Jésus Christ que je peux me fier à ces textes, et croire que ce qu’ils disent peut avoir une réalité (par exemple, ces récits où Dieu parle à l’homme, justement !). A mon tour, alors, je peux partager cette expérience vive de Dieu, et à mon tour les transmettre comme Parole de Dieu… dans une longue chaîne vivante ! Il ne s’agit pas au fond de faire sa propre petite expérience de Dieu, qui peut être faite de bien des manières, mais sans jamais avoir de critères pour l’évaluer, la vérifier. Non, l’enjeu est bien, en rejoignant tous ceux qui m’ont précédé, de partager cette unique et pleine expérience de Dieu, propre à chacun et pourtant commune à tous, et qui s’authentifie dans la communion qu’elle crée. Et c’est ainsi que l’adhésion à un ensemble de textes communs, le « canon », va rassembler et structurer l’Eglise, bien plus que le contraire…
mardi 20 novembre 2007
La Bible raconte-t-elle des histoires??? (II)
C’est la question qui se posait en écoutant les récits bibliques évoqués dans l’article précédent, où Dieu et l’homme apparaissent dans une proximité étonnante : dialogue, reproches, négociations… tout cela semble faire partie du plus naturel des quotidiens ! Le fossé qui sépare ces récits de notre expérience (la mienne du moins…) apparaît tel qu’il pourrait suffire à les renvoyer au rang du mythe, ou de la belle histoire qu’on raconte aux enfants le soir avant de dormir !
Il faut bien le reconnaître, la Bible raconte des histoires. Mais… ne passons nous pas notre temps à en faire autant ? Je ne veux pas dire à « pipeauter », bien sûr. Mais à raconter : c’est tout de même une des façons les plus courantes de communiquer, de parler de soi, ou d’autres ! Observez les réponses à la question « Qui est tu ? » : bien souvent, elles prendront la forme d’un récit (je suis né le…, j’ai fait telles et telles études, tel métier…) ; et probablement il n’y aura pas de meilleur moyen de connaître cette personne.
Tout l’enjeu est de mettre des mots sur ce que je vis, sur ce qui se vit : l’expérience. Or celle-ci a pour particularité d’être absolument personnelle et, de ce fait, intransmissible : personne ne peut ressentir ce qu je ressens, je ne peux jamais savoir ce que l’autre éprouve – sinon par le biais de ce qu’il en dit, de ce qu’il raconte. Il est des expériences plus ou moins faciles à exprimer, mais si on se borne à utiliser des notions générales, on risque fort de rester très superficiel. Dire simplement « je suis contrarié » ou « je suis heureux », c’est finalement dire peu de choses : pour exprimer ces expériences, il faut bien raconter d’où vient cette contrariété, ce bonheur… pour les autres aussi bien que pour soi ! En effet, pouvoir raconter est aussi le moyen de se connaître soi même, de se comprendre… Filon d’ailleurs largement utilisé par toutes les relations d’aide, psychothérapies et groupes de parole en tout genre ! Impossible donc de partager une expérience vivante sans passer par le récit.
Il faut alors souligner deux aspects :
- Le récit est toujours subjectif. Il exprime un point de vue, à partir duquel les faits sont triés, organisés, mis en valeur ou escamotés selon une logique qui n’appartient pas aux faits eux-mêmes. Bien sûr, il peut tendre à l’objectivité : on aboutit à la dépêche AFP, et cela n’a plus rien de très vivant ! Ce qui donne vie au récit, c’est l’engagement de son auteur. Une même personne racontera le même évènement de manière différente à plusieurs années d’intervalles. Il y a donc un écart légitime entre les faits et l’histoire. D’autre part, le récit fait intervenir des faits proprement subjectifs, non vérifiables : tout ce qui est de l’ordre des sentiments, des émotions, des désirs… Pour rendre compte de ces expériences souvent fortes, le récit s’enrichit alors de la métaphore, chère aux poètes : l’image permet alors d’évoquer « quelque chose » de ce qui a été vécu dans l’intime et qui reste inaccessible.
- Le récit a pour but de créer une relation par le partage d’une expérience. Quand on retrouve de vieux amis, c’est toujours un plaisir que d’évoquer des souvenirs communs : cela permet de revivre une histoire commune afin de pouvoir la continuer aujourd’hui… De même, raconter ses joies et ses peines noue et renforce la relation car il lui fait partager l’expérience que je vis : le récit, en effet, en faisant entrer l’autre dans mon histoire, éveille et sollicite chez lui une expérience analogue, qui lui permet de communier à la mienne.
On pourrait taxer cette approche de Dieu d’anthropomorphisme ; ce serait pourtant méconnaître l’intention de l’auteur biblique, qui sait fort bien que Dieu est le Tout-Autre, qui est invisible, dont on ne peut pas prononcer le nom – la tradition juive est très claire sur ce respect de la transcendance absolue de Dieu. Non, l’intention n’est pas de décrire Dieu ni sa rencontre avec l’homme, c’est d’évoquer à partir de ce qu’il connaît, une expérience qui le dépasse et le rejoint infiniment en même temps.
Le récit a un autre avantage : il permet de faire comprendre que cette expérience de Dieu se joue dans l’histoire de chacun. Ainsi, Moïse est appelé en gardant son troupeau, Elisée en train de labourer son champ, Amos est pris derrière ses bœufs, Isaïe le prêtre lors de son service au temple … je vous laisse le soin de compléter la liste ! Dieu rejoint l’homme dans son quotidien ; et cela se réalise pleinement avec la venue de Jésus : en lui, Dieu se révèle totalement dans l’histoire d’un homme, en lui Dieu rejoint concrètement l’homme dans son histoire. Ainsi, cette expérience de Dieu prend naturellement forme dans un récit, qui la situe dans une histoire propre : elle n’est pas un de l’ordre de l’intemporel, comme au delà de la condition humaine.
Il y a donc clairement une dimension métaphorique dans ces récits bibliques où se joue cette rencontre ; mais comment alors comprendre ce qu’ils veulent vraiment dire ? Je crois que cette compréhension est liée à la fragilité de la métaphore, dont la signification est toujours ouverte : à travers elle, le récit fait appel à ce que vit le lecteur. Peut alors s’éveiller lui une expérience analogue à celle de l’auteur, une expérience de la rencontre de Dieu qui sera la sienne propre et qui le mettra en même temps en relation avec tous ceux qui ont fait cette expérience.
C’est ainsi que le récit biblique développe sa dimension symbolique. Le symbole, dans l’antiquité, était une pièce de poterie cassée en deux lors de la conclusion d’un contrat : chaque partenaire possédait une des deux parties parfaitement complémentaires qui lui permettait d’être reconnu de l’autre et d’accéder au contenu du contrat. De la même façon, le texte biblique fournit à tout homme cette partie manquante pour reconnaître Dieu, il lui donne cette clef pour entrer dans les profondeurs de son propre cœur où Dieu l’attend.
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